M' hamed Issiakhem. L'art de l'émotion et du tragique
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M' hamed Issiakhem. L'art de l'émotion et du tragique
Connaître M’hamed Issiakhem (1928-1985) ! L’homme. L’enfant terrible au tempérament à la fois tendre et fougueux. Le peintre. Ce créateur de génie à l’imagination fertile, à la sensibilité à fleur de peau.
Sa vie. Blessée. Mouvementée. Tourmentée. Torturée. Sa trajectoire artistique. Riche et dense. Ses œuvres picturales qui révèlent un portraitiste de talent. Tel est l’objectif de l’ouvrage intitulé M’hamed Issiakhem. A la mémoire de…, publié par FIAC éditions, sous la direction de Djaâfar Inal. Par le truchement de documents iconographiques, de témoignages et de données biographiques, Malika Dorbani-Bouabdellah, l’auteure du texte, tente de cerner celui qu’on surnommait L’homme aux mille éclats, tout en livrant des commentaires, voire une analyse de la création de ce peintre, à qui le Musée national d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA) vient de rendre hommage en organisant une exposition rétrospective de ses œuvres.
Le portrait de l’artiste, structuré en sections correspondant aux étapes de la vie et de l’œuvre d’Issiakhem, fait ressortir un personnage au caractère et à la personnalité complexes. Il est décrit, d’une part, comme un homme qui brillait par sa sensibilité, sa lucidité, son intelligence, son don du lien social et le souci d’autrui. Et, d’autre part, comme un être énigmatique, «à la fois violent, revendicateur, contestataire, victime, imposant, à la limite de la tyrannie». Corps amputé. Car, handicapé d’un bras dès la prime enfance à la suite de l’explosion d’une grenade qui a entraîné le décès de ses deux sœurs et de son neveu. Esprit mutilé. Car cet enfant, par qui le malheur arriva, est chassé du paradis maternel. Rejeté par la mère. Celle qui l’a enfanté et nourri de son sein. Privé d’amour maternel ! Manque ! Douleur ! Souffrance ! Depuis la chute, M’hamed Issiakhem est en perpétuelle quête d’une reconnaissance. Celle de la mère, cette femme parée de robes «très riches en couleurs, très, très riches en couleurs (...), chatoyantes [et] brûlantes [qui] ne savait pas qu’elle transportait de la couleur...». Celle du public qui mériterait d’être davantage sensibilisé à l’art. Et enfin, la reconnaissance des pouvoirs publics qui a tardé à venir et dont l’urgente tâche est d’encourager et de promouvoir la création artistique algérienne en Algérie et ailleurs.
Mais cet homme, qui croyait que «son talent était une punition des dieux», n’avait-il pas tendance à concevoir son acte créateur comme une tentative
désespérée de réparation ? Créer, par l’entremise du pinceau et des couleurs, était sans doute pour lui une façon de se «racheter» en donnant la vie, si symbolique soit-elle, à des personnages imaginés et façonnés à l’image de son corps amputé, de son esprit torturé et de sa tragédie. Tel un dieu dans son Olympe, M’hamed Issiakhem tentait, de manière tout à fait inconsciente, d’incarner le rôle d’un créateur d’êtres aux visages dépouillés d’expression, aux corps mutilés et aux âmes tourmentées.
C’est à Alger qu’il s’initie à l’art. Après avoir fréquenté la Société des beaux-arts, il s’inscrit, en 1949, à l’Ecole des beaux-arts où il a le statut d’élève «indigène». A cette époque, il a à peine vingt-et-un ans. Les photographies de cette période renvoient l’image d’un jeune homme heureux, jovial, accueillant la vie à cœur ouvert. C’est auprès de Mohamed Racim, peintre, calligraphe et miniaturiste (1896-1975) qu’il fait son apprentissage en arts traditionnels et académiques. Puis, il élargit ses centres d’intérêt et s’initie «à l’histoire de l’art, de la gravure, de l’anatomie et peint d’après le modèle vivant». M. D. Bouabdellah précise que «des paysages tracés et dessinés au crayon et à la plume sont des traces de ses débuts».
Entre 1953 et 1958, il fréquente l’Ecole supérieure des beaux-arts de Paris où il apprend à peindre selon le mode européen. Mais, très vite, il prend de la distance avec ce type d’enseignement et s’oriente vers la production de compositions à dimension sociale et politique. C’est ainsi qu’il réalise des «tableaux de mœurs», en lien avec l’histoire nationale de l’Algérie et le contexte de l’époque. Il peint alors des figures humaines imaginées et inspirées de la réalité de son environnement immédiat, de ses souvenirs et bien d’autres sources d’inspiration (veuves, orphelins, ancêtres...). «Le Cireur» (1955), «Mendiants et aveugles d’Alger» sont des tableaux représentatifs de cette époque.
M’hamed Issiakhem était un «dessinateur prodigue» qui excellait dans l’art de la miniature, de la céramique, de la peinture et de la gravure. Puis, au fur et mesure de l’avancement de sa trajectoire artistique, il émerge comme un portraitiste de talent. Ses discours relatifs à l’art font ressortir l’image d’un artiste peintre partisan d’une vision esthétique qui puise son essence dans le réalisme socialiste. En effet, M’hamed
Issiakhem attribuait à l’art un rôle essentiellement social et éducatif. Il croyait fermement que le but principal de l’art consistait à servir une cause et à être au service de la révolution, de la société et du peuple. Et à la lumière de cette conception, la mission de l’artiste consistait à permettre au peuple, c’est-à-dire aux gens ordinaires, l’accès à l’art. Cette conception militante et idéologique, qui avait un lien avec le contexte colonial, découlait du fait qu’il était animé par la profonde conviction d’être investi d’une mission révolutionnaire dont la finalité était la libération des peuples.
Peintre abstrait ? Peintre figuratif ? «Entre abstraction et figuratif», répond M. D. Bouabdellah. Quant à M’hamed Issiakhem, il affirmait : «Si ce n’est mes visages, ma peinture est abstraite». Cette démarche, conciliant figuratif et abstrait, dénote son souci de se questionner et de se rechercher à travers des compositions picturales caractérisées par une forte note d’ambivalence et de dualité en matière de forme et de contenu.
C’est en tant que portraitiste qu’Issiakhem s’est distingué. Entre 1963 et 1985, année qui marque la fin de sa trajectoire artistique, il a réalisé un grand nombre de portraits que l’auteure qualifie de talismans et de points de repère. Il réussit là la prouesse de concilier l’intériorité et la réalité environnante et d’atteindre l’harmonie entre les moyens artistiques et les buts esthétiques. Les portraits, qui dominent l’univers pictural de M’hamed Issiakhem, sont représentés majoritairement par des figures qui soulignent la prédominance du thème de la femme. Cette dernière a été représentée sous diverses déclinaisons.
L’un de ces thèmes est celui de la mère qu’il représente comme une femme à la maternité bienheureuse. Le tableau intitulé «La mère comblée» (1970), met en scène l’image d’une famille dans le bonheur. Cette œuvre est réalisée en techniques mixtes : dessin à l’encre de Chine, peinture, en l’occurrence de la gouache bleue et noire, et collages de coupures de journaux et de reproductions d’art. La Mère, c’est également cette multitude de femmes aimantes qui tiennent dans leur bras des bébés.
C’est aussi cette figure maternelle prise dans les mailles de la folie et mise en scène à travers le tableau «La folle», en hommage à la mère de son ami, l’écrivain et dramaturge Kateb Yacine. Cette composition met en perspective l’image d’une femme dont l’état psychique suscite de l’angoisse et de l’effroi. A travers «Passé, présent, avenir», le peintre rend hommage à sa mère, cette femme qu’il voit en couleurs. Ces couleurs qu’il manie, triture, travaille, mélange, entasse sur la toile afin de dire sa douleur, sa souffrance, son décalage, ses désirs, ses rêves, ses fantasmes...
Cependant, la figure féminine ne se limite pas qu’à la représentation de la mère. Car, tout au long de sa trajectoire artistique, M’hamed Issiakhem a peint des portraits de femmes qui incarnent des dimensions culturelle, historique et personnelle. En effet, la dimension amazighe, omniprésente dans ses compositions, est exprimée par divers signes et accessoires (açaba, abrouq, foulard...) symbolisant la culture amazighe : «Chaouia» (1966), «Targuia» (1971) et bien d’autres œuvres. La référence à cette culture, certainement pas fortuite, a pour fonction de marquer les origines du peintre et d’affirmer sa culture confisquée. Par ailleurs, cette dimension souligne l’engagement du peintre dans l’histoire de son pays et renvoie probablement à la quête identitaire collective qu’il s’approprie pour mieux l’affirmer et la servir. Le thème de «La femme algérienne» est exprimé à travers des figures féminines réelles, telles que les moudjahidate qui ont combattu durant la guerre de Libération nationale, mais aussi les actrices, les femmes artistes... Enfin, de son environnement amical, figurent des femmes telles que Zoulikha Inal (Lecture, 1972), Khedidja Hamsi (Khedidja, 1981)...
Dans sa classification, M. D. Bouabdellah a répertorié deux types de portraits. D’une part, la catégorie des figures humaines représentant des femmes, des mères, des enfants, des hommes, des solitaires, des couples, des groupes correspondant à «des portraits virtuels (qui) obéissent à des inspirations fantasmagoriques». Très souvent anonymes, ces figures sont imaginées et créées au gré de l’inspiration du peintre, de son humeur, de ses états d’âme... D’autre part, la catégorie de portraits dits «à part entière», c’est-à-dire ceux où les personnes représentées sont identifiées, très souvent parce que faisant partie de son entourage. Elles se caractérisent par une mise en valeur de l’expression et des traits du visage, en l’occurrence les yeux, le front... Ces œuvres doivent leur existence à une panoplie de sentiments tels que l’émotion, l’amitié, la reconnaissance, l’affection, la sympathie, la complicité... «La Mère», «Le Cardinal Duval», «Samir Rafaâ» sont des toiles représentatives de ce type de portraits.
D’une manière générale, un grand nombre de portraits mettent en perspective, d’un point de vue psychologique, des figures humaines, majoritairement des femmes dépouillées de leur expression humaine. Ces êtres, réels ou inventés, sont très souvent représentés de manière tragique. Les visages tristes, livides, torturés, tourmentés, les corps mutilés, ces représentations picturales s’offrent à nos regards dans leur fragilité et leur nudité la plus touchante, la plus émouvante. Par ailleurs, les œuvres portant sur les relations mère-fils, l’amour maternel, la famille heureuse, la séparation d’avec la mère sont des sujets qui ont hanté l’imaginaire du peintre, nourri son inspiration, apaisé sa douleur et favorisé la constitution d’une œuvre d’une valeur inestimable. M’hamed Issiakhem était un peintre de talent, un dessinateur prodige, un artiste d’une grande culture picturale qui avait le souci constant d’innover et d’enrichir son geste créateur. Cette volonté transparaît clairement à travers de nombreuses toiles où il ne se limitait pas à produire des formes figuratives et abstraites. Il avait ainsi tendance à intégrer dans ses compositions des écritures diverses, poèmes, dédicaces, citations et signes symbolisant la diversité historique de l’Algérie, en tamazigh, latin, arabe.
M’hamed Issiakhem, «A la mémoire de...», ouvrage publié sous la direction de Djaâfar Inal, Textes de Malika Dorbani-Bouabdellah, MAMA, FIAC éditions, Alger, décembre 2010.
Sa vie. Blessée. Mouvementée. Tourmentée. Torturée. Sa trajectoire artistique. Riche et dense. Ses œuvres picturales qui révèlent un portraitiste de talent. Tel est l’objectif de l’ouvrage intitulé M’hamed Issiakhem. A la mémoire de…, publié par FIAC éditions, sous la direction de Djaâfar Inal. Par le truchement de documents iconographiques, de témoignages et de données biographiques, Malika Dorbani-Bouabdellah, l’auteure du texte, tente de cerner celui qu’on surnommait L’homme aux mille éclats, tout en livrant des commentaires, voire une analyse de la création de ce peintre, à qui le Musée national d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA) vient de rendre hommage en organisant une exposition rétrospective de ses œuvres.
Le portrait de l’artiste, structuré en sections correspondant aux étapes de la vie et de l’œuvre d’Issiakhem, fait ressortir un personnage au caractère et à la personnalité complexes. Il est décrit, d’une part, comme un homme qui brillait par sa sensibilité, sa lucidité, son intelligence, son don du lien social et le souci d’autrui. Et, d’autre part, comme un être énigmatique, «à la fois violent, revendicateur, contestataire, victime, imposant, à la limite de la tyrannie». Corps amputé. Car, handicapé d’un bras dès la prime enfance à la suite de l’explosion d’une grenade qui a entraîné le décès de ses deux sœurs et de son neveu. Esprit mutilé. Car cet enfant, par qui le malheur arriva, est chassé du paradis maternel. Rejeté par la mère. Celle qui l’a enfanté et nourri de son sein. Privé d’amour maternel ! Manque ! Douleur ! Souffrance ! Depuis la chute, M’hamed Issiakhem est en perpétuelle quête d’une reconnaissance. Celle de la mère, cette femme parée de robes «très riches en couleurs, très, très riches en couleurs (...), chatoyantes [et] brûlantes [qui] ne savait pas qu’elle transportait de la couleur...». Celle du public qui mériterait d’être davantage sensibilisé à l’art. Et enfin, la reconnaissance des pouvoirs publics qui a tardé à venir et dont l’urgente tâche est d’encourager et de promouvoir la création artistique algérienne en Algérie et ailleurs.
Mais cet homme, qui croyait que «son talent était une punition des dieux», n’avait-il pas tendance à concevoir son acte créateur comme une tentative
désespérée de réparation ? Créer, par l’entremise du pinceau et des couleurs, était sans doute pour lui une façon de se «racheter» en donnant la vie, si symbolique soit-elle, à des personnages imaginés et façonnés à l’image de son corps amputé, de son esprit torturé et de sa tragédie. Tel un dieu dans son Olympe, M’hamed Issiakhem tentait, de manière tout à fait inconsciente, d’incarner le rôle d’un créateur d’êtres aux visages dépouillés d’expression, aux corps mutilés et aux âmes tourmentées.
C’est à Alger qu’il s’initie à l’art. Après avoir fréquenté la Société des beaux-arts, il s’inscrit, en 1949, à l’Ecole des beaux-arts où il a le statut d’élève «indigène». A cette époque, il a à peine vingt-et-un ans. Les photographies de cette période renvoient l’image d’un jeune homme heureux, jovial, accueillant la vie à cœur ouvert. C’est auprès de Mohamed Racim, peintre, calligraphe et miniaturiste (1896-1975) qu’il fait son apprentissage en arts traditionnels et académiques. Puis, il élargit ses centres d’intérêt et s’initie «à l’histoire de l’art, de la gravure, de l’anatomie et peint d’après le modèle vivant». M. D. Bouabdellah précise que «des paysages tracés et dessinés au crayon et à la plume sont des traces de ses débuts».
Entre 1953 et 1958, il fréquente l’Ecole supérieure des beaux-arts de Paris où il apprend à peindre selon le mode européen. Mais, très vite, il prend de la distance avec ce type d’enseignement et s’oriente vers la production de compositions à dimension sociale et politique. C’est ainsi qu’il réalise des «tableaux de mœurs», en lien avec l’histoire nationale de l’Algérie et le contexte de l’époque. Il peint alors des figures humaines imaginées et inspirées de la réalité de son environnement immédiat, de ses souvenirs et bien d’autres sources d’inspiration (veuves, orphelins, ancêtres...). «Le Cireur» (1955), «Mendiants et aveugles d’Alger» sont des tableaux représentatifs de cette époque.
M’hamed Issiakhem était un «dessinateur prodigue» qui excellait dans l’art de la miniature, de la céramique, de la peinture et de la gravure. Puis, au fur et mesure de l’avancement de sa trajectoire artistique, il émerge comme un portraitiste de talent. Ses discours relatifs à l’art font ressortir l’image d’un artiste peintre partisan d’une vision esthétique qui puise son essence dans le réalisme socialiste. En effet, M’hamed
Issiakhem attribuait à l’art un rôle essentiellement social et éducatif. Il croyait fermement que le but principal de l’art consistait à servir une cause et à être au service de la révolution, de la société et du peuple. Et à la lumière de cette conception, la mission de l’artiste consistait à permettre au peuple, c’est-à-dire aux gens ordinaires, l’accès à l’art. Cette conception militante et idéologique, qui avait un lien avec le contexte colonial, découlait du fait qu’il était animé par la profonde conviction d’être investi d’une mission révolutionnaire dont la finalité était la libération des peuples.
Peintre abstrait ? Peintre figuratif ? «Entre abstraction et figuratif», répond M. D. Bouabdellah. Quant à M’hamed Issiakhem, il affirmait : «Si ce n’est mes visages, ma peinture est abstraite». Cette démarche, conciliant figuratif et abstrait, dénote son souci de se questionner et de se rechercher à travers des compositions picturales caractérisées par une forte note d’ambivalence et de dualité en matière de forme et de contenu.
C’est en tant que portraitiste qu’Issiakhem s’est distingué. Entre 1963 et 1985, année qui marque la fin de sa trajectoire artistique, il a réalisé un grand nombre de portraits que l’auteure qualifie de talismans et de points de repère. Il réussit là la prouesse de concilier l’intériorité et la réalité environnante et d’atteindre l’harmonie entre les moyens artistiques et les buts esthétiques. Les portraits, qui dominent l’univers pictural de M’hamed Issiakhem, sont représentés majoritairement par des figures qui soulignent la prédominance du thème de la femme. Cette dernière a été représentée sous diverses déclinaisons.
L’un de ces thèmes est celui de la mère qu’il représente comme une femme à la maternité bienheureuse. Le tableau intitulé «La mère comblée» (1970), met en scène l’image d’une famille dans le bonheur. Cette œuvre est réalisée en techniques mixtes : dessin à l’encre de Chine, peinture, en l’occurrence de la gouache bleue et noire, et collages de coupures de journaux et de reproductions d’art. La Mère, c’est également cette multitude de femmes aimantes qui tiennent dans leur bras des bébés.
C’est aussi cette figure maternelle prise dans les mailles de la folie et mise en scène à travers le tableau «La folle», en hommage à la mère de son ami, l’écrivain et dramaturge Kateb Yacine. Cette composition met en perspective l’image d’une femme dont l’état psychique suscite de l’angoisse et de l’effroi. A travers «Passé, présent, avenir», le peintre rend hommage à sa mère, cette femme qu’il voit en couleurs. Ces couleurs qu’il manie, triture, travaille, mélange, entasse sur la toile afin de dire sa douleur, sa souffrance, son décalage, ses désirs, ses rêves, ses fantasmes...
Cependant, la figure féminine ne se limite pas qu’à la représentation de la mère. Car, tout au long de sa trajectoire artistique, M’hamed Issiakhem a peint des portraits de femmes qui incarnent des dimensions culturelle, historique et personnelle. En effet, la dimension amazighe, omniprésente dans ses compositions, est exprimée par divers signes et accessoires (açaba, abrouq, foulard...) symbolisant la culture amazighe : «Chaouia» (1966), «Targuia» (1971) et bien d’autres œuvres. La référence à cette culture, certainement pas fortuite, a pour fonction de marquer les origines du peintre et d’affirmer sa culture confisquée. Par ailleurs, cette dimension souligne l’engagement du peintre dans l’histoire de son pays et renvoie probablement à la quête identitaire collective qu’il s’approprie pour mieux l’affirmer et la servir. Le thème de «La femme algérienne» est exprimé à travers des figures féminines réelles, telles que les moudjahidate qui ont combattu durant la guerre de Libération nationale, mais aussi les actrices, les femmes artistes... Enfin, de son environnement amical, figurent des femmes telles que Zoulikha Inal (Lecture, 1972), Khedidja Hamsi (Khedidja, 1981)...
Dans sa classification, M. D. Bouabdellah a répertorié deux types de portraits. D’une part, la catégorie des figures humaines représentant des femmes, des mères, des enfants, des hommes, des solitaires, des couples, des groupes correspondant à «des portraits virtuels (qui) obéissent à des inspirations fantasmagoriques». Très souvent anonymes, ces figures sont imaginées et créées au gré de l’inspiration du peintre, de son humeur, de ses états d’âme... D’autre part, la catégorie de portraits dits «à part entière», c’est-à-dire ceux où les personnes représentées sont identifiées, très souvent parce que faisant partie de son entourage. Elles se caractérisent par une mise en valeur de l’expression et des traits du visage, en l’occurrence les yeux, le front... Ces œuvres doivent leur existence à une panoplie de sentiments tels que l’émotion, l’amitié, la reconnaissance, l’affection, la sympathie, la complicité... «La Mère», «Le Cardinal Duval», «Samir Rafaâ» sont des toiles représentatives de ce type de portraits.
D’une manière générale, un grand nombre de portraits mettent en perspective, d’un point de vue psychologique, des figures humaines, majoritairement des femmes dépouillées de leur expression humaine. Ces êtres, réels ou inventés, sont très souvent représentés de manière tragique. Les visages tristes, livides, torturés, tourmentés, les corps mutilés, ces représentations picturales s’offrent à nos regards dans leur fragilité et leur nudité la plus touchante, la plus émouvante. Par ailleurs, les œuvres portant sur les relations mère-fils, l’amour maternel, la famille heureuse, la séparation d’avec la mère sont des sujets qui ont hanté l’imaginaire du peintre, nourri son inspiration, apaisé sa douleur et favorisé la constitution d’une œuvre d’une valeur inestimable. M’hamed Issiakhem était un peintre de talent, un dessinateur prodige, un artiste d’une grande culture picturale qui avait le souci constant d’innover et d’enrichir son geste créateur. Cette volonté transparaît clairement à travers de nombreuses toiles où il ne se limitait pas à produire des formes figuratives et abstraites. Il avait ainsi tendance à intégrer dans ses compositions des écritures diverses, poèmes, dédicaces, citations et signes symbolisant la diversité historique de l’Algérie, en tamazigh, latin, arabe.
M’hamed Issiakhem, «A la mémoire de...», ouvrage publié sous la direction de Djaâfar Inal, Textes de Malika Dorbani-Bouabdellah, MAMA, FIAC éditions, Alger, décembre 2010.
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